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Histoires naturelles

HISTOIRES NATURELLES "Métamorphosis Part I "   (1er Prix du jury des Pasticiens du Puy de Dôme 2007)
Extrait du N°8 -2007, des cahiers de création plastique du Puy de Dôme. 

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Cet insecte monstrueux paraissant sortir du loch Servières se révèle résineux et enneigé renversé sur ses branches-à moins que ce ne soit l'inverse : sollicité par l'intention, le cadrage et l'éclairage du photographe, le regardeur peut voir l'animal de film d'horreur, l'arbre banal, ou les deux, selon l(humeur et le moment.
Derrière l'objectif bien nommé de l'appareil, il y a surtout la subjectivité active de l'artiste nous invitant à voir le monde selon sa prise de vue.

L'essentiel de Riera- ni naïf, ni blasé - réside en sa citation : découvrir, pour les poètes, ce n'est pas seulement trouver ce qui existait déja dans le réel (les Amériques par exemple), mais aussi inventer des objets dont ce réel fournit le simple moyen - ou le prétexte (ainsi d'une silouhette de lapin formée sur le mur avec l'ombre chinoise des mains) ; dés lors, peu importe que le monstre du Loch Ness "existe ou non" : seule compte la capacité humaine à engendrer des êtres subjectifs, n'ayant que l'existence qu'on leur prête - comme le yéti, le diable, Charlot ou Astérix (ou même, inversement, la capacité à nier la réalité d'êtres bien concrets).
Ainsi s'estompe la césure, peut être artificielle, entre les biologistes qui, note Riera "...De tous temps, on a découvert des créatures inconnues. La photographie du monstre du Loch..."aujourd'hui sont capables de créer de nouvelles espèces", et l'artiste, créant également des êtres humains ou animaux par des trouvailles poétiques; au sujet des bestioles drôles et belles de R. Bricard déja, on avait pu voir que la frontière s'avère étonnement mince entre taxinomie et poésie(1) :le scientifique est aussi un rêveur, le plasticien reste un esprit rationnel, tous deux sont des démiurges.
Comme les Flamands(2) inventeurs du paysage anthropomorphe, Riera voit des figures humaines sous certains angles et lumières du paysage, principalement minéral : mais surtout, de façon trés caractéristique, il fait surgir des animaux vivants de végétaux morts - et cette double opposition, frappante, mérite quelques remarques. on pourrait se contenter de ne voir en celle-ci que de simple rapprochement formel, mais sa récurrence obstinée chez ce photographe et la qualité des remarques de celui-ci interdisent de se limiter à cet immédiat aspect de surface. D'abord, voir des têtes équines, des sortes de jeune caïman, lézard géant, batracien gueule ouverte, etc... en des fragments de troncs, branches mortes et autres fragments d'écorce, montre à nouveau que ce qui reste le plus important (comme proie ou menace) pour l'être humain dans l'ensemble du biologique, c'est l'animal : le point de vue de Riera est répandu en de nombreuses civilisations, alors qu'il s'avère beaucoup plus rare (mais existant) qu'on imagine des végétaux en regardant des animaux ; d'autre part, l'aspect ici trés vivant de ces créations animales, renforcé par le talent du photographe, souligne aussi que parmi les bêtes, celles en vie demeurent les plus désirables ou redoutables - donc les plus captivantes ; enfin on peut se demander si l'effort de redonner vie à du bois sec ne traduit pas , indirectement, un refus de la mort.
Le privilège du plasticien consiste à impliquer et synthétiser de telles idées, plurielles, diverses, en une seule image ; image trés bien faite, aussi : mais de la compétence technique de Riera, il n'y a rien à dire, tant la pratique photographique en noir et blanc de ce professionnel lui est, à l'évidence, un outil parfait sous sa main.

Richard Bucaille 

Commissaire d'exposition


(1)V. monographie sur R. Bricard in cahiers(...)n°5 pp26-27
(2) Et non G. Arcimboldo, comme on le croit souvent ; s'il fut incontestablement le maître absolu de ce genre un peu bouffon, il n'en fut en rien l'inventeur

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